Si la plupart des artistes contemporains sont devenus des maquilleurs de l’hérésie, des maquilleurs le plus souvent critiques d’ailleurs, c’est parce qu’ils ne peuvent, en dernière instance, mettre à mort ce qui leur donne de la “ valeur ”, ce qui les met en “ valeur ”, ils ne peuvent tuer la maladie, la fausse mort dont ils vivent.
Alain Maison n’est pas un artiste contemporain si par ce terme on entend ce qui a coutume de se médiatiser, dans une veine post-moderne un peu dénaturée, sous la forme d’une sacralisation fétichiste de la crise. Alain Maison n’est pas de ces “ chantres de la détresse culturelle ”*, de ces “ exhibitionnistes de l’aliénation ”* qui s’installent avec leur cri dans un travail séduisant et toujours-déjà désamorcé.
La démarche ne mord pas ici dans la chair morcelée du monde. Nous sommes au degré 0 du sarcasme culturel. A la fois art pour l’art et anti-art, le travail du peintre enracine ces deux extrémismes formalistes et esthétisants dans un art par la vie.
Une simple intensification de la vie, un non-art-en-vie. Non seulement l’art comme propriété nouvelle de la vie, nouvelle forme d’elle-même, nouvelle manière de bâtir et d’habiter, un art (de) circonstance, mais aussi, et en même temps, l’art comme arrachement à la vie, à ses turpitudes et à sa mort.
L’art donc à la fois comme découlant de la vie et s’y opposant, s’arrachant vie, dans un accroissement d’être et de conscience où la vie s’éprouve forme de vie en formation. Le “ par ” est de la vie à l’art. Et si “ pour ” il y a, un pour, non de célébration mais d’accélération, un pour, sans appel, sans pompe ni nostalgie, celui du peintre ici brûle sans détruire, emporte sans écraser, découvre, manifeste… sans rien affirmer, un “ pour ” dans lequel (se) dé-peindrait la vie et dont le peintre serait, non pas le canal neutre et objectif, cette idée est aussi absurde que la posture subjectiviste à laquelle elle s’oppose, mais une simple inclination (plutôt que déclinaison), un auto-effondrement, un auto-enfoncement en impression, une occasion pour la vie de s’intensifier, d’assister en atelier à sa propre émergence, à sa propre production, de (se) sentir, ou plutôt s’auto-affecter formes de vie dans la vie des formes. De là, peut-être, cette violence tellurique, à la fois franche, marquée et muette, suspendue, cette violence des traits et cette cruauté des tons qui conspirent-en-formes tout en défendant une espèce de singularité, une identité négative, d’insatisfaction, dont toute l’énergie semble venir du fait qu’elle se cherche “ elle-même ”, qu’elle ne trouve nulle forme dans laquelle se reposer.
Nulle aspiration. Une respiration plutôt, où des forces conspirent, se déchirent, s’interpénètrent en vertu d’une loi immanente indécidée qui est celle du processus de création – une “ force (de) loi ”, pour parler comme François Laruelle, dont la loi de force symbolique ne serait que la sinistre répression. Chaque touche, chaque ton apporte sa loi. Ce qui avait commencer de se stabiliser dans une loi est modifié, contrarié par une “ nouvelle ” force de loi. Chaque nouveau trait coloré modifie le tout, déséquilibre, incline… Le tout est un trou, qui, bien que délimité visuellement dans un plan et un cadre, n’en finit pas de s’échapper à lui-même et aux éléments qui le composent, n’en finit pas de s’engloutir, de glisser, de s’enfoncer en défonçant le regard.
Non pas parce qu’il serait toujours ailleurs – le tout de la vie est toujours là –, différé dans une quelconque transcendance, mais parce qu’ouvrir, en se dérobant à la maîtrise et à la domination, c’est sa manière d’être là…
D’où cet équilibre précaire qui se dégage du travail d’Alain Maison : à travers cette violence et cette douceur une chose unique cherche à se découvrir, une essence matérielle, une vie qui voudrait comme sortir de la mort qui l’enferme… Et si le peintre travaille ainsi à “ s’appauvrir ”, à s’appauvrir de sa nature, de sa connaissance et de sa mémoire, c’est pour mieux ouvrir, mieux partager ce qu’il peut y avoir d’essentiel, de révolutionnaire même, dans le simple fait de sentir, d’être “ la petite sensation ” dont parle Cézanne, la sensation qui absorbe, qui accroche en nous décrochant de tout…
Alain Maison peint pour défaire, pour dénouer, pour (se) libérer des tentations ascendantes qui nous font survoler et terrasser le monde. “ La peinture, dit-il, me permet de rester sur terre ; voilà pourquoi je n’arrêterais pas d’arrêter de peindre ”.
Ali Hmiddouch